L'écrivain a dénoncé la volonté prêtée à Israël de frapper l'Iran de façon préventive en raison de ses activités nucléaires.
Günter Grass à Hambourg le 20 février 2011. (Photo Christian Charisius. Reuters)
Le prix Nobel de littérature allemand Günter Grass, 84 ans, a déclenché un énorme scandale lundi en publiant, sous forme de poème, un plaidoyer pour l'Iran où il accuse Israël et son arme atomique de menacer la paix mondiale.
Il s'est attiré de violentes accusations d'"antisémitisme" avec ce poème en prose intitulé Ce qui doit être dit, paru dans le grand quotidien de Munich Süddeutsche Zeitung. Il y dénonce un «prétendu droit à attaquer le premier», faisant allusion à l'éventualité de frappes préventives israéliennes contre Téhéran, soupçonné de développer du nucléaire militaire malgré ses dénégations.
Le Nobel de littérature 1999 affirme que ce projet pourrait mener à «l'éradication du peuple iranien».
Grass, qui jouit d'une grande autorité en Allemagne, évoque «cet autre pays, qui dispose depuis des années d'un arsenal nucléaire croissant - même s'il est maintenu secret», qui bénéficie de livraisons de sous-marins nucléaires qui pourraient rendre les Allemands, «déjà suffisamment accablés», complices d'un «crime prévisible».
L'Allemagne et Israël ont conclu en 2005 un contrat de vente de sous-marins conventionnels de type Dolphin, dont un sixième exemplaire doit être livré prochainement. Ces sous-marins peuvent être équipés d'armes nucléaires.
Grass dénonce un «silence généralisé» sur cette question, qu'il qualifie de «mensonge pesant» parce que «le verdict d'antisémitisme tombera automatiquement» sur qui le rompra.
«Pourquoi ne dis-je que maintenant (...) que la puissance atomique d'Israël menace la paix mondiale déjà fragile ?», s'interroge Grass. «Parce qu'il faut dire ce qui pourrait être trop tard demain.»
Israël a vivement réagi. «Ce qui doit être dit, c'est qu'il est de tradition européenne de blâmer les Juifs avant la Pâques juive», a lancé le numéro deux de l'ambassade d'Israël à Berlin, Emmanuel Nahshon, dans un communiqué, reprenant le titre du texte de Grass.
Le représentant israélien a regretté que l'Etat hébreu soit «le seul pays au monde remis en cause publiquement dans son droit d'exister», et a assuré que les Israéliens «voulaient vivre en paix avec leurs voisins de la région».
«Günter Grass retourne la situation en prenant la défense d'un régime brutal», a également regretté Deidre Berger, directrice de l'American Jewish Committee à Berlin.
Henryk Broder, éditorialiste et polémiste juif renommé en Allemagne, a jugé dans le quotidien conservateur Die Welt que «Grass (avait) toujours eu un problème avec les Juifs, mais il ne l'avait jamais aussi clairement exprimé que dans ce poème».
Pour Broder, Grass est «l'archétype de l'érudit antisémite», de l'Allemand qui, est «poursuivi par la honte et le remords».
«Jamais dans l'histoire de la République fédérale, un intellectuel renommé ne s'en est pris avec autant de clichés à Israël», a renchéri l'hebdomadaire Der Spiegel dans son édition en ligne.
Sans nommer Grass, le ministre des Affaires étrangères Guido Westerwelle a publié un communiqué expliquant que «minorer les dangers du programme nucléaire iranien reviendrait à nier la gravité de la situation».
Le porte-parole du gouvernement allemand Steffen Seibert s'est refusé à commenter, au nom de la «liberté de création».
Sur internet, les réactions étaient enflammées entre défenseurs et détracteurs de Grass, les premiers invitant à réfléchir et discuter des propos de l'écrivain qualifié d'«antisémite» par les seconds.
En 2006, Günter Grass, connu pour ses positions de gauche, avait admis avoir fait partie des Waffen SS dans sa jeunesse, lui qui renvoyait souvent l'Allemagne à son passé nazi et dont un des livres le plus connus, Le Tambour, est résolument contre la guerre.
Source: Libération