(Nicolas Sarkozy avec Jean-David Levitte, son conseiller diplomatique)
4 avril 2009 - Alors que Strasbourg accueille aujourd'hui le sommet de l'Otan, voici l'article que je publie cette semaine sur le retour complet de la France dans la structure militaire de l'Alliance.
J'essaye de répondre à trois questions:
1/ Quels postes de commandement voulait l'Elysée au début des tractations?
2/ Quelles avancées de l'Europe de la Défense l'équipe de Nicolas Sarkozy espérait-elle arracher pour justifier cette réintégration?
3/Et qu'a-t-elle finalement obtenu?
Otan: histoire secrète du retour de la France
Ce samedi 11 août 2007, George Bush reçoit Nicolas Sarkozy en visite «privée» dans sa maison familiale de Kennebunkport, au bord de l'Atlantique. Au menu : hamburgers, haricots noirs et claques dans le dos. Officiellement on parle de tout et de rien. On fait seulement connaissance. En réalité, le nouveau président français (il a été élu trois mois plus tôt) vient mettre George Bush dans la confidence. «Nicolas Sarkozy nous annonce, sous le sceau du secret, qu'il veut faire réintégrer la France dans le commandement de l'Otan, raconte un important officiel américain. Il dit même qu'il souhaiterait que cela se passe très vite, dès le prochain sommet de l'Alliance atlantique, en avril 2008 à Bucarest. Evidemment, Bush, qui était très isolé et critiqué sur la scène internationale, était ravi de ce rapprochement spectaculaire.» L'Elysée n'a jamais reconnu que les choses s'étaient déroulées si tôt et d'une façon si abrupte. En fait, l'histoire du retour complet de la France dans l'Otan recèle nombre d'épisodes gênants pour Nicolas Sarkozy et son équipe. Certains d'entre eux nous ont été racontés par différents responsables français, américains et européens, sous couvert de l'anonymat.
Comme il est d'usage sous la Ve République, l'essentiel s'est déroulé dans le bureau du conseiller diplomatique du président de la République, l'incontournable Jean-David Levitte. Tout commence là, le 27 juillet 2007, trois semaines avant la rencontre «privée» de Kennebunkport, quand Jean-David Levitte réunit le chef des armées, le chef d'état-major particulier de Nicolas Sarkozy, le directeur politique du Quai-d'Orsay et le conseiller diplomatique du ministre de la Défense. Il ne leur annonce pas exactement la couleur. Il dit vouloir sonder les différents ministères sur un «éventuel» retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan. Mais chacun comprend que tout est déjà joué, et que Nicolas Sarkozy, bien qu'il n'ait jamais évoqué la question pendant la campagne, a déjà tranché. Si bien que le chef d'état-major de l'armée française, le général Georgelin, conclut ainsi, en souriant, la réunion : «Messieurs, le moment est historique. On devrait prendre une photo pour l'immortaliser»
Au cours de cette réunion «historique», on évoque déjà les postes dans l'Otan que la France devrait obtenir «en échange» de son retour complet dans la structure militaire de l'Alliance. On veut au moins l'un des trois «qui comptent vraiment», et qui sont déjà occupés par des Européens : adjoint du chef américain de l'Otan, poste tenu par un Britannique; chef d'état-major des opérations, poste toujours occupé par un Allemand; ou commandant de «Brunsumm», le QG d'où sont gérées, en partie, les opérations en Afghanistan, poste également tenu par un Allemand. Comme on va le voir, la France n'obtiendra aucun de ces trois commandements.
Ce 27 juillet 2007, dans le bureau de Jean-David Levitte, on évoque aussi la défense européenne. Mais il ne s'agit pas - pas encore - de faire de son avancée un préalable au retour complet de la France dans l'Otan. En fait, un seul des participants en parle pour lancer, exaspéré : «Cette réintégration, celle que vous préparez, c'est la mort de la défense européenne...»
L'Elysée comprend le danger d'une telle remarque si elle fait tâche d'huile au sein de l'establishment français. Car depuis 1998 l'élite politique française, de droite comme de gauche, a fait de l'Europe de la Défense l'un des axes majeurs de la diplomatie française. L'équipe de Sarkozy ne peut donc prendre le risque d'être accusée à la fois de se réaligner sur l'Amérique et de négliger un symbole de la souveraineté européenne. Bref, de tuer simultanément de Gaulle et Monnet.
Quelques jours après cette réunion, et sous la pression de François Fillon, on décide donc deux choses : d'abord de ne pas réintégrer tout de suite, sous Bush, mais en 2009 après l'élection d'un nouveau président américain. Et pour célébrer l'événement, on envisage d'organiser en France le sommet du 60e anniversaire de l'Otan. Angela Merkel, qui veut elle aussi accueillir cet événement historique, proposera un sommet commun franco-allemand - ce que Nicolas Sarkozy acceptera en novembre 2007.
Seconde décision : profiter de la future présidence française de l'UE pour essayer de décrocher des avancées importantes dans l'Europe de la Défense, en prétendant qu'on ne reviendra complètement dans l'Otan que si on les obtient. Cependant, on se garde bien - et c'est là toute la manip - de fixer un objectif précis. Si bien que n'importe quel progrès, si minime soit-il, fera l'affaire... Au début, on espère pouvoir décrocher le gros lot, la seule avancée qui vaille : la création d'un vrai quartier général de la défense européenne, à la fois stratégique et opérationnel, un QG permanent comportant des centaines d'officiers - un symbole fort. Fin août, Jean-David Levitte en parle à son homologue britannique au cours d'un déjeuner à Paris. Cela ne paraît pas impossible.
Mais, patatras, Gordon Brown, jusque-là très populaire, s'effondre dans les sondages. Or les élections britanniques approchent. Il n'est plus question pour lui d'apparaître trop «europhile». Du coup, dès l'automne 2007, le ministre britannique de la Défense Des Browne annonce à son homologue français que, si cela peut aider Nicolas Sarkozy à faire revenir totalement la France dans l'Otan, il est prêt à consentir quelques efforts en matière de défense européenne, mais que, pour le QG, c'est non. «C'est une ligne rouge», dit-il à Hervé Morin.
A l'Elysée, on ne lâche pas prise. Paris espère contourner Londres par Washington. Grâce à l'habile Levitte, et en échange de l'envoi en renfort de 700 soldats français en Afghanistan, George Bush accepte de faire un véritable panégyrique de l'Europe de la Défense, lors du sommet de l'Otan de Bucarest en avril 2008. Mieux, quelques semaines plus tard, le Pentagone fait savoir qu'il n'est plus opposé à la création d'un QG européen. C'est une révolution. Mais Gordon Brown ne veut toujours rien entendre. Que faire ? Bien que l'Allemagne ait, elle aussi, acquiescé du bout des lèvres, Nicolas Sarkozy décide de ne pas tenter l'épreuve de force avec Londres. Et, avant même la présidence française de l'Union, il abandonne, sans le dire, l'idée de ce QG. Il n'y aura donc pas de véritable avancée de la défense européenne.
Sur le front de l'Otan, aussi, les choses restent au point mort. Les Britanniques - et, cette fois, les Allemands - bloquent. Début 2008, Paris a demandé à Londres d'accepter que le poste d'adjoint au chef militaire de l'Alliance, toujours occupé par un Britannique, devienne tournant, c'est-à-dire soit attribué successivement à un Anglais, un Allemand et un Français. La réponse ne tarde pas : c'est «No !» Du coup, Berlin refuse de lâcher l'un des ses commandements. Et Nicolas Sarkozy ne parviendra pas à convaincre Angela Merkel de changer d'avis. «Comment les Français, qui nous ont craché dessus pendant des années, ont-ils pu croire un instant que nous allions nous réjouir de leur retour complet dans l'Otan et leur céder nos places comme ça, pour leurs beaux yeux ?», demande un responsable allemand.
Concessions
A l'été 2008, au début de la présidence française, voilà donc Nicolas Sarkozy Gros-Jean comme devant. Pas de QG européen, pas de grands commandements : comment, dans six mois, «vendre» aux Français la réintégration de la France dans l'Otan ? Côté défense européenne, il faut faire le forcing, arracher quelque chose. Plus résolu et concentré qu'on ne le dit, Hervé Morin obtient de ses 26 homologues quelques concessions qui, regroupées et bien enveloppées, pourront peut-être faire illusion. Mais, pour les postes à l'Otan, il faut aller voir le grand frère. En octobre 2008, le Pentagone accepte le principe de lâcher deux de ses commandements au profit des Français. Mais rien n'est signé. Il faut obtenir le feu vert final auprès de l'équipe d'Obama. Au lendemain de l'élection présidentielle américaine, Jean-David Levitte traverse discrètement l'Atlantique pour rencontrer son homologue, le général Jones, lui-même ancien patron de l'Otan et francophone. Bien que Barack Obama ne soit pas encore officiellement investi, Jones donne son accord. Si bien que juste avant Noël, en conseil restreint de défense, le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy révèle aux ministres concernés, Kouchner et Morin, ce qu'il a obtenu à Washington : les commandements de Norfolk et de Lisbonne.
La pêche semble bonne. Norfolk est un poste prestigieux, l'un des deux commandements «stratégiques» de l'Alliance. Mais il n'est pas opérationnel. «Le QG de Norfolk, SACT, est une sorte de think tank censé diffuser les nouvelles pratiques militaires américaines auprès des Européens. C'est tout», dit un responsable français, très sceptique sur la valeur réelle de ce commandement. Quant à Lisbonne, il s'agit du QG de la «Force de réaction» de l'Otan (la NRF), force qui n'a été employée qu'une seule fois. C'était au Pakistan pour aider les populations après un tremblement de terre. Ce fut un désastre. «Lisbonne, raconte un officiel français, n'a réussi qu'à mobiliser deux bulldozers espagnols que les autorités pakistanaises ont finalement refusés.» Belles prises, en effet.
Source: http://globe.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/04/03/otan-...