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29/08/2009

Sociétés secrètes ou "confréries" aux Etats-Unis: la Skull and Bones

(l'Express, 27/09/2004) Confrérie la plus influente du pays, Skull and Bones («Crâne et os») est aussi un club très fermé. Les deux candidats à la présidentielle en sont membres

Certains l'affirment, le maître du monde n'occupe pas la Maison-Blanche. Il résiderait, selon eux, sur High Street, dans un mystérieux édifice aveugle, à New Haven, à une heure et demie au nord de Manhattan. Ce bâtiment en pierre, en bordure du campus de Yale, la célèbre université, porte un nom que l'on dirait inventé par le comte Dracula: The Tomb. C'est là que se réunissent les membres de la société la plus secrète des Etats-Unis, Skull and Bones («Crâne et os»). Depuis sa fondation, en 1832, cette organisation est restée dans l'ombre. Jamais aucun de ses membres n'a parlé. Aucun n'a jamais admis, même à ses proches, faire partie de ce club très sélect. La règle est d'airain: si quelqu'un évoque le simple nom de l'organisation en présence d'un «Bonesman» (le nom donné à ses membres), celui-ci doit sortir de la pièce. Pourtant, depuis quelques semaines, les projecteurs sont braqués sur «la Tombe»: les deux candidats à la présidence des Etats-Unis en sont, en effet, membres, John F. Kerry depuis 1966, George W. Bush depuis 1968. «C'est la société secrète la plus influente dans ce pays, affirme l'écrivain Ron Rosenbaum, auteur d'une enquête sur le sujet. Trois des cinq derniers présidents étaient des Skull and Bones.

Ceux qui ont forgé le caractère de l'Amérique depuis qu'elle n'est plus une puissance mineure ont eux-mêmes été formés dans cette crypte. A une époque où tout ce qui pouvait être caché a été mis au jour, ces murs détiennent les derniers secrets qui existent encore dans ce pays.» A cause du mystère qui l'enveloppe et qu'elle entretient avec soin depuis cent soixante-douze ans, Skull and Bones est l'objet de rumeurs et de craintes. On redoute son pouvoir occulte, la puissance du lien qui unit tous ses membres. «Il n'y a pas de conspiration. C'est une société qui ressemble à ce que les Anglais appellent le «Old Boys Network», le réseau d'hommes qui ont fréquenté Eton, Oxford, Cambridge et qui, très tôt dans la vie, ont noué des liens. Plus tard, ils peuvent se donner un coup de main», explique Rosenbaum. «La seule et unique raison de l'existence de cette société, renchérit Alexandra Robbins (Secrets of the Tomb, éd. Little, Brown & Company), c'est de placer ses membres à des postes d'influence.» Avec quelque succès. On compte dans ses rangs trois présidents, deux juges de la Cour suprême, un patron de la CIA, une multitude de sénateurs et même des acteurs, sans compter les hommes d'affaires. George Bush, dont le père, le grand-père et le cousin sont aussi des Bonesmen, a choisi pour son cabinet et certains postes importants de la diplomatie nombre de ses «frères», comme Evan Galbraith, ex-ambassadeur en France, aujourd'hui représentant en Europe du secrétaire à la Défense, ou bien le responsable de la Securities and Exchange Commission, le gendarme de la Bourse, ou encore le directeur adjoint du groupe des conseillers économiques. La «Confrérie de la mort» (The Brotherhood of Death), comme la société aime se nommer, a été dominée par les noms les plus éminents de l'establishment américain et les grandes fortunes - Bush, Harriman, Phelps, Rockefeller, Taft, Whitney. «Il est un peu ahurissant qu'un club de seulement 800 membres vivants en compte tant à des postes clefs», constate Robbins. Pas étonnant, alors, que George Bush, comme son père et son grand-père avant lui, se soit adressé à un ancien de Skull and Bones - Robert Gow - pour trouver son premier emploi. Et, quand il a fondé son entreprise, son oncle a trouvé 28 investisseurs pour mettre la main au portefeuille, dont le plus généreux était également un «affranchi». John Kerry, dont les liens avec ses frères Bonesmen restent étroits - le frère de sa première femme, l'un des responsables de sa campagne présidentielle, était lui-même un Bonesman - ne s'est pas servi de son réseau pour construire sa carrière. Mais il apprécie, selon Alexandra Robbins, l'amitié qui lie tous les membres et surtout la liberté de se laisser aller, de parler librement en sachant que rien ne sera jamais révélé.

Skull and Bones, dont l'emblème ressemble au drapeau des pirates des Caraïbes - un crâne au-dessus de deux tibias croisés - a été fondé (les faits, comme tout ce qui touche à cette société, demeurent un peu mystérieux) par un certain William Huntington Russell, étudiant à Yale. Il aurait rapporté cette idée d'Allemagne en 1832. Le club s'inspire d'une pure légende. Lorsque l'orateur grec Démosthène mourut, en 322 avant Jésus-Christ, Eulogia, déesse de l'éloquence, monta au ciel. Selon la mythologie de Skull and Bones, la déesse serait revenue sur terre et aurait désormais établi sa résidence parmi les membres de ce club. Pour cette raison, le nombre 322 est sacré pour les Bonesmen: par exemple, c'était la combinaison de l'attaché-case dans lequel Averell Harriman, ambassadeur des Etats-Unis en URSS, transportait les dépêches ultraconfidentielles entre les deux gouvernements. John Kerry l'utilise encore comme code.

Personne ne peut décider de devenir membre de Skull and Bones. Il faut être choisi. «Toute sa vie, l'écrivain John O'Hara est resté amer de ne pas avoir été initié», raconte l'écrivain Adam Gopnik. Chaque année, en avril, sur le campus de Yale, 15 étudiants de troisième année sont désignés par une simple tape sur l'épaule. «Skull and Bones recherche des étudiants qui ont montré des qualités de leader - le capitaine de l'équipe de football de Yale, le rédacteur en chef du journal étudiant, par exemple - explique l'historien de Yale Gaddis Smith. George Bush a été choisi à cause de sa famille, associée à cette organisation depuis longtemps.» Si l'étudiant accepte de rejoindre la confrérie, ordre lui est intimé de se rendre le lendemain à High Street en n'ayant sur lui «ni métal, ni soufre, ni verre». L'initiation, très théâtrale, consiste en deux soirées: au cours de la première, les futurs «chevaliers» doivent narrer par le menu devant l'assemblée - qui compte des femmes depuis 1991 - leur histoire sexuelle. Lors de la seconde, les nouveaux font le récit de leur vie. Chaque initié reçoit un nom ou s'en choisit un. George Bush, incapable d'en trouver un, fut affublé de celui de «Temporary», qui lui est resté. On ne connaît pas le surnom de Kerry. «Ces séances sont prises très au sérieux, raconte Alexandra Robbins. Chacun dispose d'une soirée entière pour se raconter. La principale occupation, à Skull and Bones, est de parler.» Parfois, les anciens qui occupent des postes importants dans le gouvernement viennent dans la Tombe discuter de leurs dossiers, même les plus confidentiels. Les membres de Skull and Bones se retrouvent au dîner, tous les jeudis et tous les dimanches, lorsque la nuit est tombée, afin que personne ne les repère. «Ces rituels et cette obsession de notre mortalité servent à rappeler aux jeunes bourgeois que la vie est courte et qu'ils ont donc intérêt à en faire quelque chose», explique Rosenbaum. Chaque nouvel arrivant reçoit une somme importante - on en ignore le montant exact - dont il dispose à sa guise. Il peut aussi se réfugier lorsqu'il le souhaite sur Deer Island, l'île privée offerte à la société par un riche Bonesman.

Toutes les grandes universités américaines possèdent des sociétés secrètes. Ainsi, à Yale, les concurrentes de Skull and Bones sont Berzelius ou bien Scroll and Key. Bob Woodward, journaliste au Washington Post, est membre de Book and Snake. C'est pour cette raison que l'on a longtemps soupçonné deux condisciples de Book and Snake, membres influents de l'équipe de Richard Nixon, d'être la fameuse «Gorge profonde», son informateur clef dans l'affaire du Watergate. Ce qui est certain, c'est que Skull and Bones a été l'un des réservoirs importants de la CIA. «A l'époque de Bush et de Kerry, raconte Alexandra Robbins, l'agence était connue comme «l'employeur de dernier recours». Bush père en a d'ailleurs été directeur. Si vous ne pouviez pas trouver un travail ailleurs, il y avait toujours la CIA.» Parmi les hommes qui ont façonné la politique extérieure des Etats-Unis depuis un siècle, un grand nombre - Henry Stimson, secrétaire à la Guerre de Roosevelt, l'ambassadeur Averell Harriman, ou bien encore McGeorge Bundy, conseiller pour la Sécurité de John Kennedy - faisaient partie de Skull and Bones. Quel que soit le résultat de la prochaine élection, l'organisation est sûre d'une chose: le prochain occupant de la Maison-Blanche sera l'un des siens.

Source: l'Express

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