En Russie, The South Federal University's Research and Education
Center "Nanotechnologies", se concentre sur la recherche et le développement des nanotechnologies.
Electronique, santé, alimentation... les nanomatériaux sont de plus en plus utilisés. Cette révolution technologique, à l'échelle du milliardième de mètre, provoque bien des inquiétudes. Un nouveau rapport ne va pas les apaiser.
Ils sont partout! En gaz, en poudre, en liquide, en crème. Dans le sel de table et les crèmes solaires. Les écrans télé et le ciment. Les médicaments et les raquettes de tennis. "Ils" sont partout, mais personne ne le sait: les nanomatériaux sont invisibles au microscope, et la plupart des industriels qui les utilisent ne le déclarent pas - ils n'y sont d'ailleurs pas tenus. Rien d'étonnant, dès lors, que partisans et adversaires de ces "nanos" échangent anathèmes et noms d'oiseaux.
Les premiers les parent de mille vertus et annoncent une nouvelle ère pour l'humanité. Les autres crient au flicage planétaire et redoutent des catastrophes sanitaires à l'échelle mondiale. Saisie par les pouvoirs publics, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) vient de rendre le premier rapport d'expertise français sur le sujet, dont L'Express livre les grandes lignes.
Plusieurs sortes de "nanos"
Qu'est-ce qu'un nanomatériau? Un "nano" mesure entre 1 et 100 nanomètres, l'unité de mesure correspondant à un milliardième de mètre. Certains sont d'origine naturelle (poussière de volcan, aérosol marin). D'autres sont employés depuis des lustres, sans que leurs utilisateurs en aient conscience.
Ainsi, au XVIe siècle, les souffleurs de verre de Murano conféraient à leurs créations une belle couleur rubis en y ajoutant quelques paillettes d'or qui, à l'échelle nanométrique, changeaient les propriétés du verre en question. Depuis une vingtaine d'années, l'industrie électronique fait grand usage des nanos (téléphone portable, écran de télévision plat...), mais, le plus souvent, elle les emprisonne dans d'autres éléments afin - en principe - qu'ils ne se répandent pas dans l'air ambiant.
Il y a aussi les nanos "libres", dits non encapsulés. Ceux-là inquiètent les scientifiques, qui craignent de possibles "relargages" dans l'atmosphère ou même directement dans l'organisme humain, par inhalation, ingestion ou passage à travers la peau. A ce jour, on ignore tout ou presque de leur évolution sur le long terme: se dégradent-ils? Se transforment-ils? On attend toujours les résultats de travaux sur cette question.
Quels dangers?
Vue d'un tube de nanocarbone.
Que sait-on de leur dangerosité pour l'homme? Malgré un rapport fourni (219 pages), l'Afsset le reconnaît sans ambages: il est impossible de fournir une "évaluation quantitative des risques". Pour une raison simple: invoquant des secrets de fabrication, les industriels utilisant les nanos se refusent à en donner la composition exacte. Reste que des études récentes font apparaître une "dangerosité potentielle", dans deux domaines en particulier, selon l'Afsset: les nanotubes de carbone, très utilisés en électronique, et les nanoparticules de cobalt-chrome, qui servent à fabriquer des prothèses de hanche.
Par ailleurs, l'Afsset s'est livrée à une revue exhaustive des travaux menés à ce jour par des scientifiques internationaux autour de trois nanos particuliers: l'argent (contre les mauvaises odeurs stagnant dans les chaussettes de sport), le dioxyde de titane (utilisé pour le ciment et les crèmes solaires) et la silice (dans le sucre de table). Il en ressort plusieurs éléments troublants. In vitro, c'est-à-dire en conditions expérimentales, les nanos pénètrent dans le noyau d'une cellule, interagissent directement avec l'ADN et peuvent "conduire potentiellement à une cancéro-génicité", précise l'Afsset.
In vivo, des travaux sur des poissons-zèbres montrent des malformations au niveau embryonnaire et des processus inflammatoires à l'âge adulte. Sur le plan environnemental, les résultats sont plus inquiétants encore concernant les nanoparticules d'argent: compte tenu de leur efficacité bactéricide, elles risquent, une fois diluées dans les eaux souterraines, de rompre l'équilibre des écosystèmes. Elles constituent pourtant, à elles seules, plus du quart des nanos employés dans l'industrie. Chaque année, 18 tonnes de particules d'argent sont ainsi rejetées dans la nature...
Des propriétés prisées par les industriels
Pourquoi les nanos intéressent-ils tant les fabricants? Parce qu'ils n'obéissent pas aux lois de la physique classique. Selon les situations, leurs caractéristiques chimiques, thermiques ou mécaniques changent radicalement. Les nanotubes de carbone, par exemple, se comportent à la fois comme un métal et comme un semi-conducteur: 100 fois plus résistants et 6 fois plus légers que l'acier, ils ont une conductivité thermique comparable à celle du diamant. De quoi inventer bientôt des écrans vidéo à la fois plats et souples, qui pourraient être pliés ou enroulés.
Mais les nanos ont bien d'autres propriétés spécifiques: autonettoyantes (pour les vitres), ultrarésistantes (pour les clubs de golf), antiagglomérantes (pour fluidifier le sel de table), absorbantes (pour limiter l'impact des ultraviolets émis par le soleil). Le champ médical est plus vaste encore: des nanocristaux d'argent sont intégrés dans les pansements en raison de leurs vertus bactéricides, une dizaine de nanomédicaments anticancéreux sont commercialisés et demain, peut-être, des "nanovecteurs" enverront des portions d'ADN afin de remplacer ou réparer des gènes défectueux.
Des fabricants discrets sur le sujet...
Les industriels font-ils preuve d'une transparence suffisante? Non. Le directeur général de l'Afsset, Martin Guespereau, note que, sur l'ensemble des publications scientifiques consacrées aux nanos, 2% seulement traitent des risques éventuels: financer ce genre de recherches n'est "clairement pas la priorité des industriels", déplore-t-il. Pis, entre ceux qui affirment abusivement "utiliser du nano" et ceux qui ne s'en vantent pas mais qui y recourent, impossible de savoir précisément qui fait quoi.
Résultat: l'Afsset a recensé 246 produits vendus en France, mais admet que cet inventaire n'est pas exhaustif. Autant dire que le "code de bonne conduite" (transparence, responsabilisation, prudence), adopté en février 2008 par la Commission européenne, reste un voeu pieux.
Du côté des entreprises, on invoque une concurrence exacerbée avec l'Inde et la Chine. Et des perspectives de croissance à faire rêver: 1 800 milliards de dollars de chiffre d'affaires, des millions d'emplois créés d'ici à 2015. Les promesses n'engagent que ceux qui y croient...
Le grand public est-il clairement informé? Le temps de l'industrie (tout, le plus vite possible) n'est pas celui de la science ni celui de la société. Entre principe de précaution et promesses de rentabilité, le grand public a parfois du mal à trancher. Sur le papier, le grand débat national lancé en octobre dernier constituait l'occasion rêvée de faire échanger "pro" et "anti" nanos.
Qu'on en juge: 17 réunions ouvertes au public dans 17 villes différentes, chacune autour d'un thème précis ; des experts chargés d'expliquer au public les enjeux essentiels, quelques grands témoins spécialement choisis... Las! Les belles promesses ont accouché d'un échec complet. Le choix de certains sujets n'était, il est vrai, pas des plus habiles. Fallait-il, par exemple, traiter d'aéronautique à Toulouse, au risque de laisser penser que l'industrie avançait masquée dans le débat?
Un thème synonyme de "conflit politique"
Francis Chateauraynaud, chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), s'intéresse aux nanos depuis 1999. L'expert voit dans cette affaire "le symptôme d'un conflit politique qui ne dit pas son nom entre les élites et le peuple". Et dénonce, à juste titre, "la schizophrénie" d'un système qui promet la transparence, alors même que les décideurs "partent du principe que le grand public est en déficit de savoir, qu'il n'a pas bien compris, mais que, si on lui explique..." Comme si, en quelque sorte, le grand public n'était pas assez grand, justement.
Il est logique, dans ces conditions, que les scientifiques soient sur la sellette. Les experts du nucléaire avaient déjà été confrontés à de telles accusations. En revanche, l'émergence d'une critique radicale, qui refuse une idéologie du progrès présenté comme inéluctable, est, elle, nouvelle.
Sur le front des nanos, les militants de PMO (pour Pièces et main d'oeuvre) savent se faire entendre. Issus de la société civile, revendiquant l'anonymat ("Nos visages ne sont pas nos messages", lancent-ils), ces activistes indomptables développent un style pamphlétaire, en rupture de ton avec les anti-OGM par exemple. Et ça marche!
Il aura suffi de quelques interventions lors des premières réunions en province: devant les risques de chahut et de dérapages, les pouvoirs publics ont préféré annuler les neuf derniers débats. Depuis, chacun reproche à l'autre de ne pas accepter le débat démocratique. D'autres bras de fer s'annoncent.
Source: L'Express