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09/06/2015

Mathieu Weill : « Les Américains ne veulent pas prendre le risque de perdre le contrôle d’Internet »

Le directeur général de l’Afnic, Mathieu Weill, dirige un groupe de travail international sur la réforme de la gouvernance d’Internet. Il fait le point sur les enjeux et le calendrier de ce chantier, pour Contexte.

Une vaste réforme de la gouvernance d’Internet est en cours. Sur quels points portent les débats ?

Le sujet se cristalise sur la gestion des ressources techniques, car il existe un point central de coordination, l’Internet corporation for assigned names and numbers (Icann), qui est une association de droit californien. Elle assure la gestion technique du serveur racine, la fonction Iana, ainsi que les fonctions de régulateur du secteur, attribuant des licences et encadrant les tarifs.

L’Icann est lié au gouvernement des États-Unis par un contrat sur la partie technique, qui prend fin en septembre 2015. Les États-Unis ont annoncé brusquement, en mars 2014, qu’ils comptaient abandonner la supervision de la partie technique, en supprimant tout lien contractuel avec l’Icann.

Comment analysez-vous cette initiative du gouvernement américain d’abandonner la supervision de l’Icann ?

Le gouvernement américain a lancé le mouvement, car il est sous pression. La conférence de l’Union internationale des télécoms (UIT) de Dubaï, en 2012, s’est très mal passée. Elle a abouti à une décision dont les États-Unis et les pays européens ne voulaient pas. Et ils ne l’ont pas signée, car elle aurait pu donner un rôle à cette organisation dépendant de l’Onu dans la gouvernance d’Internet.

Les Américains ont pris conscience que cette situation pouvait se reproduire à l’occasion d’autres sommets internationaux. Ils ont donc fait leur annonce le 24 mars 2014, afin de couper court à tout risque, lors du sommet Netmundial, qui s’est tenu au Brésil le 20 avril. Avec succès.

Quelles opportunités cette annonce ouvre-t-elle ?

Cette annonce des Américains a ouvert une boite de Pandore, créant l’impression que tout devenait possible. Des questions autrefois taboues ont été posées d’un seul coup, comme la fin de la tutelle des États-Unis ou la refonte de la gouvernance de l’Icann.

Ce contrat sur la partie technique est très vite apparu comme la clé de voûte du système. Le retrait du contrat est la seule menace que l’on peut brandir contre l’Icann si elle se met à faire n’importe quoi dans sa fonction de régulateur. La nécessité d’une réforme de sa gouvernance est devenue une évidence.

Quels mécanismes sont-ils mis en place pour préparer cette transition ?

Deux groupes de travail ont été créé, l’un sur les aspects techniques, l’autre sur la gouvernance. Je copréside le second, avec un représentant allemand et un mexicain. C’est un groupe ouvert, avec environ 160 personnes qui travaillent essentiellement à distance.

Il doit produire des recommandations sur une refonte de l’Icann, et nous avons publié un rapport intermédiaire. Nous souhaitons qu’une véritable séparation des pouvoirs se mette en place à l’Icann : une assemblée générale, au dessus du conseil d’administration (l’instance toute-puissante), ainsi qu’un véritable tribunal interne.

Quelle serait la recommandation la plus importante à vos yeux pour sécuriser le nouveau dispositif ?

L’essentiel réside dans la mise en place d’un panel de juges, qui doivent être les plus puissants possible. Les voies de recours actuelles, au sein de l’Icann, sont peu efficaces, car ce sont parfois les mêmes personnes qui siègent dans l’organe de décision et dans celui de recours. La polémique autour des noms de domaines en. vin est une bonne illustration du problème.

Il est indispensable que l’organe juridictionnel interne soit doté d’une forte légitimité. L’Icann étant basé en Californie, et le restera sans doute, ce sont les tribunaux de cet État qui sont compétents pour traiter des litiges qui ne sont pas réglés en interne. Non seulement, ces procédures coûtent cher, mais elles favorisent les Américains, qui savent mieux utiliser les subtilités de leurs tribunaux.

Existe-t-il un risque de retour en arrière ou de blocage du processus ?

L’équilibre politique est fragile, car le climat est très polarisé à Washington. Les républicains sont contre, et tout repose sur les démocrates. L’actuelle administration s’est engagée, mais la position que prendra le candidat démocrate à la présidentielle sera décisive. Tout grain de sable dans la mécanique peut la bloquer, car il est hors de question, pour les Américains, de prendre le moindre risque de perdre le contrôle d’Internet.

Le calendrier est serré. La vraie limite est calée sur la campagne présidentielle américaine et l’environnement politique à Washington. Il est donc nécessaire qu’une décision de principe soit prise pour la fin de l’année 2015 et mise en oeuvre avant le « black-out » imposé par la campagne électorale, qui débutera à l’automne 2016. Sinon, il faudra tout reprendre depuis le début.

La France et l’Europe sont-elles présentes dans ces débats ?

Le sujet est dominé par les Anglo-saxons, et les États-Unis ont les moyens de siffler la fin de la partie à n’importe quel moment.

La Commission européenne essaye de jouer un rôle d’harmonisation des positions, mais elle se heurte aux États membres, et les positions sont diverses. La Suède et le Royaume-Uni sont proches des positions américaines, alors que la France et l’Allemagne sont sur une ligne plus indépendante.

D’autres pays, comme le Brésil et l’Inde, sont présents et revendicatifs. En revanche, la Russie est absente et les Chinois se montrent très discrets,  comme souvent dans les négociations internationales.

Contexte