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07/05/2015

Mon copain Clément

C’est bien toi ? Quelle joie de tomber sur mon copain de terminale, dans le wagon-bar du TGV ! Je ne l’avais pas vu depuis l’année du bac au lycée Jules-Verne de Nantes, 1983. Clément était le meilleur d’entre nous. Un ado un peu rondouillard, certes, mal nippé, mal peigné. Mais après les cours, c’est autour de lui que les filles s’agglutinaient. Sans doute ce côté intello tourmenté. Clément écrivait des poèmes, des romans, des BD. Il avait son groupe de rock (les Smart Jackets), il lisait Lautréamont, Céline, Raymond Radiguet, alors que nous, pauvres cancres, nous souffrions avec l’auteur officiel préconisé par les programmes scolaires : Émile Zola. Quoiqu’un peu trop bohème au goût de mes parents, Clément suscitait l’admiration de mon père. Car même en physique et en math, il raflait les meilleures notes : « Il passe peut-être ses nuits à jouer de la guitare électrique, ton Clément, mais il aura son bac haut la main ! » Il a eu une mention très bien…

Trente ans plus tard, Clément avait toujours sa silhouette d’ado dégingandé et sa tignasse en désordre. Accoudé au bar, il entreprit de me raconter son parcours. Après le bac, il avait fait une école de commerce et épousé une fille de la bande, la jolie Estelle. À l’âge de 30 ans, il était devenu responsable export d’une PME française de composants électroniques. Et à 40, directeur général d’une entreprise de semi-conducteurs, dans l’Isère.

Mais en 2013, son employeur lança un vaste plan de réduction des effectifs. Avant finalement de licencier ses 250 salariés. Depuis deux ans, l’idole de mon père végétait : cabinets d’outplacement, réunions à Pôle emploi… Il prétendait avoir envoyé plus de mille CV. « Tu le crois si tu veux : je n’ai reçu qu’une trentaine de réponses écrites. Toutes négatives… »

En 2014, la belle Estelle était partie à Toulouse suivre un stage d’initiation à la sophrologie. Elle n’était jamais revenue. Le divorce était en cours. « Avec nos quatre enfants, ça devait finir comme ça, ronchonna Clément. — Pourquoi ? — Ben… ils sont tous partis. Ma fille, Alice, est ingénieure dans la Silicon Valley chez Google. Elle compte y rester. Ses trois en fants ne parlent même pas français. Mon second est chef dans un grand restaurant de Sydney. Il revient ici tous les deux ans. Mon troisième est dans la finance à Singapour, il va épouser une Japonaise. Le plus jeune voulait rester en France, mais il ne trouve pas de travail. Finalement, il part la semaine prochaine à Toronto pour monter sa start-up avec deux copains… Aucun ne reviendra jamais vivre en France. »

Bien sûr, j’ai payé les consommations.

Eric Brunet

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